Trois questions à Philippe Filliot, professeur de yoga et auteur d’Etre vivant, méditer, créer (Actes Sud, 2016). En 2014, il a publié le texte ? Trouver l’extraordinaire dans l’infraordinaire : pour une mystique profane ? dans la revue Sociétés. Depuis le début du confinement, il nous arrive de partager avec nos amis des microévénements qu’on passait jusque-là sous silence : ? J’ai fait le plein aujourd’hui ! ?, ou ? ?a y est, j’ai nettoyé mes carreaux ! ? Serions-nous en train de valoriser les petites choses du quotidien ? Lorsque nous ne sommes pas malades ou confrontés à l’angoisse, le confinement a le mérite de nous inviter à une sorte de conversion du regard. Par la force des choses, nous nous retournons vers des détails de notre environnement proche, dont la valeur s’accro?t. Il devient plus aigu et plus sensible. Privés de l’ailleurs, nous retournons à l’ici et c’est l’occasion d’inventer une mystique de l’ordinaire qui s’éprouve vraiment dans la vie de tous les jours. Qu’entendez-vous par ? mystique de l’ordinaire ? ? C’est une manière d’enchanter notre quotidien… Comme ces internautes qui reproduisent chez eux, en se déguisant, des peintures célè-bres. Ces tableaux vivants faits avec trois fois rien sont un mélange de sublime et de dérisoire. C’est une manière de vivre ce moment de confinement comme une expérience mystique qui ne s’ins-crit pas dans un cadre religieux mais advient dans le quotidien le plus banal. On peut aussi parler de mystique profane en clin d’?il à la formule de Walter Benjamin ? l’illumination profane ?. Je crois que nous vivons un temps très proche du zen, pas au sens du cool mais au sens spirituel du terme, qui invite à un retour total à la vie immédiate, sans échappa-toire, sans illusion, sans construction. Un retour à une réalité brute et évidente. C’est le sens d’un court dialogue entre un moine zen et son disciple qui lui demande : ? Qu’y a-t-il d’extraordinaire ? ? Le ma?tre lui répond : ? Etre assis sans rien faire. ? Voilà une manière de retour-ner à l’ordinaire et de le voir comme quelque chose de merveilleux. C’est toute la difficulté, non… Oui… Mais alors que nous ne pouvons plus nous tourner vers nos activités extérieures, nous sommes plus enclins à chercher des ressources en nous-mêmes qui permettent d’inventer d’autres fa?ons de faire et de penser. Nous vivons un temps d’arrêt, de mise entre parenthèses qui est mondial, comme une sorte de yoga planétaire – au sens originel du terme, ? yoga ? signifie ? arrêt ? et ? repos ?. Cela nous incite à un retour à soi, définition essentielle de la spiritualité. |
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